LA RONDE DES MAINS

 

Ce sont des hommes qui font le pain, les mouvements des mains travaillent les pâtons un par un, les sentent, les adoptent ensuite pour finalement leur donner leur forme. Des hommes avec des parcours différents, de toutes nationalités, des Kurdes, des Afghans, des Belges, des Guinéens, des Néerlandais, des Français, des Togolais, des Somaliens, des Turcs, loin de leurs familles souvent et que la vie a emmenés vers chez nous, qui ont été boulangers dans leur pays ou ont appris le métier ici, pas à pas, pain par pain, avec patience et persévérance. Ces pères ou mères de famille, nombreuses parfois, prendront part à ce long processus de fabrication d’une 40aine d’heures entre le moment où on mélangera les ingrédients et le moment ou les produits seront proposés sur les étals des magasins.

L’après-midi Mika et Barry font les pâtes avec attention, Abdala et David les sortent des pétrins pour les mettre en bac de 8kg, puis toute la nuit en fermentation, quelques 2 tonnes et demi de pâtes par jour. Le lendemain matin, lorsque le temps aura déroulé à son propre rythme la 1ère fermentation, les atomes d’azotes des acides aminés commenceront à se volatiliser dans la pâte développant les arômes du pain au levain, les chaines de protéines ne seront pas encore sous forme de nutriment lorsque Amin, René et Mehra vont commencer à diviser ces pâtons à la main sur leurs petites balances. Puis ils les bouleront en leur donnant du « corps » selon leurs propres sensations. Quelques heures après seulement, quand ils le jugeront, Ibra et Bobo vont pouvoir les enfourner.  L’horloge fera 3/4 de tour qu’il sera déjà temps de les défourner avec joie, de les sentir, de les apprécier brulants entre nos mains, résultat du travail de chacun et on en gardera toujours quelques-uns, encore chauds, à partager entre nous. Cédric les laissera ressuer juste le temps nécessaire avant de les mettre en mannes selon sa liste. À 2h moins 5, en pleine nuit, 5 ou 6 fois par semaine, Benoit, Olivier et Mike prendront la route pas tout à fait indifférents aux conditions de pluie, de neige ou de vent pour vous délivrer les fameux sésames encore tout frais. A leur retour vers 10h ils croiseront les boulangers dans l’atelier déjà concentrés sur les fournées du lendemain.

Ces hommes qui sans relâche répèteront les mêmes gestes (il y a toujours quelque chose de différent dans l’identique), sont parfois fatigués comme tout le monde ou ont aussi des soucis personnels mais sont courageux et présents, toujours concernés et responsables.

Ce sont des hommes de devoir, des hommes de qualité, qui connaissent leur métier et maîtrisent parfaitement l’activité de leurs levains, celui qui donne le tempo dans l’atelier.

Ces hommes savent réfléchir, compter, réagir, anticiper, corriger, dompter le temps et les températures, pour oeuvrer à la fabrication des pains de hautes qualités gustatives et nutritives que l’on a décidé de produire et qui nous nourriront tous.